Introduction à la chimie atmosphérique et à la qualité de l’air
La chimie atmosphérique est l’étude de la composition chimique de l’atmosphère terrestre ainsi que des réactions et interactions qui déterminent cette composition. La qualité de l’air – c’est-à-dire la présence de polluants ou d’air pur – est d’une grande importance car elle affecte la santé humaine, les écosystèmes et même le climat. La pollution de l’air est aujourd’hui reconnue comme l’une des plus grandes menaces sanitaires mondiales, liée à environ sept millions de décès prématurés chaque année selon l’Organisation mondiale de la santé dlr.de. Les polluants tels que l’ozone troposphérique, les particules fines et les gaz toxiques peuvent aggraver les maladies respiratoires et cardiovasculaires. En Europe seulement, on estime que 1 million de décès excessifs par an sont liés à la pollution atmosphérique cen.acs.org. Au-delà de la santé, la chimie atmosphérique joue un rôle clé dans le changement climatique (via les gaz à effet de serre) et dans des phénomènes comme les pluies acides et la destruction de l’ozone stratosphérique. Surveiller la composition de notre air – et comment elle évolue – est donc crucial pour protéger la santé publique et l’environnement.
Traditionnellement, la qualité de l’air est surveillée à l’aide de stations au sol qui échantillonnent les polluants en des lieux précis. Bien qu’extrêmement précises pour les mesures locales, ces stations sont peu nombreuses dans de nombreuses régions (en particulier dans les zones rurales ou en développement) et n’offrent qu’une couverture limitée cen.acs.org cen.acs.org. Beaucoup de régions du monde restent des “zones d’ombre de surveillance” avec peu ou pas de capteurs au sol cen.acs.org. C’est là que les satellites interviennent : en observant l’atmosphère depuis l’orbite, les satellites peuvent élargir considérablement la perspective, offrant un aperçu complet de la pollution atmosphérique sur des pays ou continents entiers cen.acs.org. Lors des dernières décennies, les scientifiques se sont de plus en plus tournés vers ces “yeux dans le ciel” – des satellites d’observation de la Terre spécialisés – pour suivre les principaux polluants et la chimie atmosphérique à l’échelle mondiale.
Missions satellites pour la qualité de l’air et la chimie atmosphérique
Au fil des années, une flotte de satellites a été lancée par différentes agences (NASA, ESA, JAXA, etc.) afin de surveiller la composition atmosphérique et la qualité de l’air. Les premiers instruments satellitaires (dès les années 1970–1990) étaient axés sur l’ozone (par exemple, le TOMS de la NASA sur les satellites Nimbus) et d’autres composants. Dans les années 2000, des capteurs avancés ont commencé à mesurer quotidiennement une gamme plus large de polluants depuis l’orbite basse (LEO). Plus récemment, une nouvelle génération ambitieuse de satellites fait passer la surveillance de la qualité de l’air à un niveau supérieur, avec des orbites géostationnaires permettant une couverture continue, horaire de la pollution sur des régions spécifiques. Le tableau 1 présente un aperçu de quelques-unes des principales missions satellitaires dédiées à la chimie atmosphérique et leurs caractéristiques :
Tableau 1 – Principales missions satellites pour la surveillance de la composition atmosphérique et de la qualité de l’air
Mission (Agence, Lancement) | Orbite & Couverture | Instrument/Tech clé | Gaz/Polluants ciblés principaux |
---|---|---|---|
Aura (NASA, 2004) | LEO héliosynchrone (mondial, quotidien) | Spectromètre OMI UV–Vis | Ozone (O₃), NO₂, SO₂, aérosols, etc. earthdata.nasa.gov |
Sentinel-5P (ESA, 2017) | LEO héliosynchrone (mondial, quotidien) | Spectromètre TROPOMI UV–Vis–NIR–SWIR | NO₂, O₃ (total & troposphérique), CO, SO₂, CH₄, HCHO, aérosols dlr.de |
GOSAT “Ibuki” (JAXA, 2009) | LEO héliosynchrone (mondial tous les 3 jours) | Spectromètre FTIR TANSO | CO₂, CH₄ (gaz à effet de serre) en.wikipedia.org |
GEMS (KARI, 2020) | Géostationnaire (Asie de l’Est continue) | Spectromètre UV–Vis (nadir) | NO₂, O₃, SO₂, aérosols, COV (horaire sur l’Asie) cen.acs.org cen.acs.org |
TEMPO (NASA/SAO, 2023) | Géostationnaire (Amérique du Nord continue) | Spectromètre à réseau UV–Vis | O₃, NO₂, SO₂, HCHO, aérosols (horaire sur l’Amérique du Nord) earthdata.nasa.gov nasa.gov |
Sentinel-4 (ESA, 2024*) | Géostationnaire (Europe continue) | Spectromètre UV–Vis (sur satellite MTG) | NO₂, O₃, SO₂, aérosols (horaire sur l’Europe & l’Afrique du Nord) cen.acs.org |
*(Le lancement de Sentinel-4 est prévu pour 2024–25.)
Chacune de ces missions a contribué à l’émergence d’un système mondial d’observation de la chimie atmosphérique. Par exemple, le satellite Aura de la NASA (faisant partie du “A-Train” des satellites d’observation de la Terre) embarque l’instrument OMI, qui surveille depuis près de vingt ans des polluants majeurs tels que le dioxyde d’azote (NO₂), le dioxyde de soufre (SO₂) et l’ozone – fournissant des données essentielles sur l’évolution de la pollution atmosphérique et la récupération de la couche d’ozone earthdata.nasa.gov. Le Sentinel-5 Precursor (5P) européen, avec son instrument TROPOMI de pointe, perpétue cet héritage en cartographiant une multitude de gaz traces à une résolution inégalée (pixels d’environ ~7×3,5 km) ntrs.nasa.gov. Pour la première fois, la pollution d’air de villes et d’aires industrielles individuelles peut être détectée depuis l’espace dlr.de. TROPOMI fournit des mesures mondiales quotidiennes de polluants tels que le NO₂, l’ozone, le monoxyde de carbone (CO), le SO₂, le méthane (CH₄), etc. dlr.de dlr.de, avec des données disponibles en quelques heures pour la surveillance quasi en temps réel. Parallèlement, le GOSAT japonais (et son successeur GOSAT-2) a été pionnier dans l’observation dédiée aux gaz à effet de serre, mesurant depuis l’espace les concentrations de CO₂ et de CH₄ atmosphériques afin d’améliorer notre compréhension des sources et puits de carbone en.wikipedia.org.
La majorité des satellites traditionnels de surveillance de la qualité de l’air comme ceux mentionnés ci-dessus sont en orbites polaires héliosynchrones, c’est-à-dire qu’ils passent au-dessus de chaque région à sensiblement la même heure locale une fois par jour. Cela permet une couverture mondiale mais avec une fréquence de revisite limitée (généralement un passage par jour). Ainsi, des épisodes de pollution rapides ou des cycles journaliers peuvent être manqués. Par exemple, les polluants à courte durée de vie peuvent augmenter et diminuer en quelques heures, de sorte qu’une mesure quotidienne peut “rater une grande partie de leur évolution,” comme le remarque le scientifique de l’atmosphère Jhoon Kim cen.acs.org. Pour combler ce manque, les agences se sont tournées vers les orbites géostationnaires pour la qualité de l’air. Les satellites placés à ~36 000 km au-dessus de l’équateur se déplacent à la même vitesse que la rotation de la Terre et observent en continu une même région, permettant des observations horaires.
En 2020, la Corée du Sud a lancé GEMS, le premier capteur de qualité de l’air en orbite géostationnaire au monde, axé sur l’Asie de l’Est cen.acs.org. La NASA a suivi en avril 2023 avec TEMPO (Tropospheric Emissions: Monitoring of Pollution), couvrant l’Amérique du Nord cen.acs.org. L’ESA européenne prévoit de lancer Sentinel-4 en 2024–25 pour surveiller l’Europe et l’Afrique du Nord tempo.si.edu tempo.si.edu. Ces trois instruments forment une constellation prévue, fournissant des cartes de pollution heure par heure sur les régions les plus peuplées de l’hémisphère Nord. Chaque instrument géostationnaire balaie son territoire tout au long de la journée, détectant les mêmes polluants que ceux mesurés par les anciens satellites (NO₂, O₃, SO₂, aérosols, etc.), mais révèle désormais comment leurs concentrations évoluent du matin au soir – une révolution pour comprendre les pics d’émissions (comme la pollution des heures de pointe) et le transport des polluants en quasi-temps réel.Technologies et instruments utilisés sur les satellites de qualité de l’air
Au cœur de ces satellites se trouvent des instruments de télédétection sophistiqués qui détectent les gaz et particules atmosphériques à distance. La technologie la plus courante est le spectromètre en visée nadir – essentiellement une version spatiale d’un spectroscope de laboratoire, pointée vers la Terre. Ces spectromètres mesurent la lumière du soleil qui a été réfléchie par la surface ou les nuages et a traversé à nouveau l’atmosphère. À mesure que la lumière traverse l’air, les gaz absorbent des longueurs d’onde spécifiques (« couleurs ») caractéristiques de chaque espèce. En séparant la lumière reçue en son spectre, l’instrument identifie les empreintes spectrales uniques des différentes molécules et détermine leur concentration le long du trajet. Cette technique repose sur la même loi de Beer–Lambert qu’en chimie de laboratoire : comparer le spectre mesuré à une référence propre (le spectre solaire sans pollution) permet d’estimer la quantité de lumière absorbée par un gaz donné cen.acs.org. En résumé, les satellites mesurent combien de lumière du soleil est absorbée par les polluants lors de leur traversée de l’atmosphère cen.acs.org, et déduisent ainsi la quantité de NO₂, O₃, SO₂, etc. présente dans la colonne atmosphérique. Différents spectromètres sont adaptés à différentes gammes de longueurs d’onde selon les polluants ciblés. Les spectromètres ultraviolets et visibles (UV–Visible) (comme OMI sur Aura, TROPOMI sur Sentinel-5P, ou TEMPO) excellent pour détecter des gaz tels que NO₂, SO₂, le formaldéhyde et l’ozone, qui ont des propriétés d’absorption particulières dans l’UV–Visible cen.acs.org cen.acs.org. Les spectromètres proche-infrarouge et infrarouge à ondes courtes (NIR/SWIR) (comme ceux de GOSAT ou des missions de surveillance du CO₂) visent les gaz à effet de serre comme le CO₂ et le CH₄, qui absorbent à des longueurs d’onde plus longues. Certains satellites embarquent des spectromètres à transformation de Fourier dans l’infrarouge (FTIR) (par exemple le TANSO-FTS de GOSAT) pour mesurer l’émission thermique de gaz – utile pour des espèces comme le monoxyde de carbone (CO) et l’ozone en altitude. De plus, des satellites comme Terra et Aqua de la NASA disposent de radiomètres à large bande (ex : MODIS) qui déduisent la concentration d’aérosols à partir de l’intensité et de la couleur de la lumière réfléchie. Il existe même des instruments actifs : les systèmes lidar (laser de CALIPSO, par exemple) envoient des impulsions lumineuses dans l’atmosphère pour profiler directement les couches d’aérosols et les nuages. Chaque technologie fournit une pièce du puzzle, et leur combinaison permet aux satellites de surveiller un large éventail de constituants atmosphériques. Un défi technique majeur pour les capteurs satellitaires est d’atteindre une haute résolution – à la fois spectrale (pour distinguer les gaz) et spatiale (pour localiser les sources). Les progrès ont été remarquables : par exemple, la taille de pixel de l’ancien instrument OMI de la NASA (~13×24 km au nadir) est éclipsée par le nouveau TROPOMI (~3.5×7 km) ntrs.nasa.gov, qui offre une surface de pixel 16 fois plus fine acp.copernicus.org. Résultat : les instruments actuels peuvent discerner la pollution à des échelles bien plus petites – détectant même les panaches de villes moyennes ou d’usines individuelles dans certains cas dlr.de. Côté fréquence temporelle, l’avènement des capteurs géostationnaires permet de passer d’un cliché par jour à plus de 24 clichés par jour pour une région donnée. Concrètement, cela revient à passer d’une photo fixe quotidienne à un film en accéléré horaire de l’atmosphère. Ces améliorations de résolution et de cadence transforment l’observation des événements dynamiques (pollution routière, propagation de fumée d’incendie, smog urbain évolutif) que les anciens satellites ne pouvaient qu’entrevoir. L’étalonnage et la validation sont aussi des technologies clés en coulisses. Les instruments satellites doivent être rigoureusement étalonnés (souvent à l’aide de lampes embarquées, d’observations solaires ou de comparaisons avec des cibles terrestres bien caractérisées) pour garantir l’exactitude des mesures de lumière. De plus, les données satellites sont systématiquement validées par des capteurs au sol (tels que les spectromètres Pandora et les photomètres solaires AERONET) pour vérifier que les concentrations de polluants calculées sont correctes cen.acs.org epa.gov. Cette synergie entre mesures spatiales et au sol est essentielle pour garantir la fiabilité des données – et montre aussi que les satellites complètent, plutôt que remplacent, les réseaux de surveillance terrestre.Polluants clés et gaz traces surveillés par les satellites
Les satellites modernes de chimie atmosphérique suivent une variété de polluants et de gaz traces. Voici quelques-uns des plus importants et leur intérêt :- Bioxyde d’azote (NO₂) : Le NO₂ est un gaz brun-rougeâtre produit principalement par la combustion des énergies fossiles (échappements de véhicules, centrales électriques) et certains procédés industriels. Il est à la fois un polluant nocif et un précurseur d’autres problèmes : le NO₂ conduit à la formation d’ozone troposphérique et d’aérosols nitrates, et une exposition chronique peut enflammer les poumons et réduire la fonction respiratoire. Les satellites sont devenus essentiels pour cartographier le NO₂ dans le monde entier. Des instruments comme OMI et TROPOMI détectent l’absorption caractéristique du NO₂ dans le spectre UV–visible, révélant des points chauds de pollution au-dessus des grandes villes et zones industrielles cen.acs.org. Les cartes de colonnes troposphériques de NO₂ produites par satellite sont frappantes – elles tracent clairement les réseaux routiers urbains et les régions brûlant du charbon. Par exemple, les données satellites ont montré une baisse spectaculaire du NO₂ en Amérique du Nord et en Europe ces vingt dernières années grâce à des réglementations plus strictes earthdata.nasa.gov, tout en mettant en lumière des hausses rapides en Asie lors des phases de forte industrialisation. Les données NO₂ sont également utilisées comme indicateurs des inégalités de qualité de l’air : des cartes à haute résolution peuvent révéler des différences de pollution jusqu’à l’échelle du quartier, aidant à identifier les communautés les plus impactées lung.org lung.org.
- Ozone (O₃) : L’ozone est unique car il est à la fois bénéfique et nocif, selon son emplacement. Dans la stratosphère (10–50 km d’altitude), la couche d’ozone protège la vie en filtrant les rayons UV du Soleil. Mais dans la troposphère (l’air que nous respirons), l’ozone est un polluant formé par réactions photochimiques entre NOₓ et composés organiques volatils (COV) sous l’effet du soleil. L’ozone troposphérique est un composant majeur du smog et peut irriter les voies respiratoires et endommager les cultures. Les satellites mesurent l’ozone de plusieurs façons : les capteurs UV peuvent évaluer l’ozone total de la colonne (pour suivre la santé de la couche d’ozone) et isoler la composante troposphérique à l’aide d’algorithmes avancés. Par exemple, OMI sur Aura et OMPS sur Suomi-NPP suivent la récupération de la couche d’ozone en réponse à l’interdiction des CFCs par le protocole de Montréal aura.gsfc.nasa.gov. Des capteurs géostationnaires plus récents comme TEMPO mesureront l’ozone en surface toutes les heures aux États-Unis, facilitant la prévision de la qualité de l’air pour ce gaz « invisible » qui atteint son maximum les après-midis ensoleillées epa.gov epa.gov. Les satellites aident aussi à démêler quelle part de l’ozone au sol provient de la pollution locale ou d’apports stratosphériques ou intercontinentaux (une question politique clé).
- Monoxyde de carbone (CO) : Le CO est un gaz incolore produit par combustion incomplète (véhicules, feux de forêt, biomasse). Sans être extrêmement toxique aux niveaux extérieurs habituels, le CO est important comme traceur de pollution et polluant climatique indirect. Il peut persister environ un mois dans l’atmosphère, parcourant ainsi de longues distances. Les instruments satellitaires en IR thermique (comme MOPITT sur Terra et AIRS sur Aqua) furent parmi les premiers à cartographier le CO à l’échelle globale, montrant comment la fumée des incendies de forêt ou la pollution urbaine peuvent traverser les océans. Des capteurs plus récents (canaux SWIR de TROPOMI) mesurent aussi le CO de façon plus détaillée ntrs.nasa.gov ntrs.nasa.gov. Les cartes satellitaires de CO sont souvent couplées à des modèles pour suivre les feux de brousse régionaux (ex : Indonésie, Amazonie) ou diagnostiquer l’arrivée de pollution dans des régions sans sources locales. Parce qu’il est co-émis avec le CO₂ lors de la combustion, le CO sert aussi de proxy pour estimer les émissions de CO₂ de façon indirecte.
- Dioxyde de soufre (SO₂) : Le SO₂ est un gaz âcre émis principalement par la combustion de combustibles fossiles soufrés (charbon, pétrole) et les éruptions volcaniques. Il forme en atmosphère des aérosols de sulfate, contribuant aux particules fines et aux pluies acides. Les satellites peuvent détecter le SO₂ en très faible concentration – ils repèrent quelques parties par milliard grâce à sa forte absorption UV. Les capteurs OMI et TROPOMI, par exemple, détectent les éruptions volcaniques en quasi-temps réel, cartographiant rapidement les panaches pour la sécurité aérienne dlr.de. Ils surveillent aussi les émissions chroniques des centrales et fonderies : OMI a permis d’identifier de nouvelles sources industrielles auparavant non recensées grâce à leur « signature » satellite. Exemple d’impact : en 2019, l’Inde a imposé des réductions strictes sur le soufre des centrales, et les mesures TROPOMI ont confirmé le déclin du SO₂ en Inde. À l’inverse, les satellites ont révélé une hausse du SO₂ en Chine ou au Moyen-Orient, aidant la régulation internationale. Autre application, la distinction SO₂ volcanique : lors de grandes éruptions (comme Sierra Negra en 2018), Sentinel-5P cartographie rapidement le nuage de SO₂ dlr.de, utile pour le public et l’aviation.
- Méthane (CH₄) : Le méthane est un puissant gaz à effet de serre (plus de 80 fois le CO₂ sur 20 ans) et influence aussi la chimie atmosphérique (il favorise l’ozone). Les principales sources sont les fuites pétrolières et gazières, décharges, agriculture (élevage, rizières) et zones humides naturelles. La surveillance satellitaire a énormément progressé : GOSAT a fourni les premières mesures globales du CH₄ en.wikipedia.org, complété par Sentinel-5P (ESA) et EMIT (NASA). Application révolutionnaire : la détection des fuites massives (“super-émetteurs”), TROPOMI ayant révélé de grands panaches sur des pipelines, mines et décharges, dont certains ont été colmatés une fois localisés. Les missions à venir (CO2M de l’ESA, MethaneSAT d’EDF) viseront CO₂ et CH₄ à haute précision pour cibler les politiques climatiques. Même si le CH₄ n’est pas un polluant respiratoire direct, sa maîtrise est cruciale pour le climat – et seuls les satellites peuvent détecter, quantifier, et localiser les émissions dans le monde entier, y compris là où l’inventaire au sol est inexistant.
- Particules / Aérosols : Les fines particules en suspension (aérosols – poussières, suies, fumées, sulfate…) sont dangereuses pour la santé (PM₂,₅ liées aux maladies respiratoires et cardiaques) et affectent aussi le climat via la diffusion/absorption solaire. Les satellites ne « comptent » pas directement les particules, mais mesurent très bien leurs propriétés optiques. Des instruments comme MODIS ou VIIRS de la NASA scannent la lumière solaire réfléchie pour dériver la profondeur optique des aérosols (AOD), mesure de l’atténuation lumineuse due aux particules. À partir de l’AOD, les scientifiques estiment la PM₂,₅ au sol avec des modèles clarity.io. Cela a révolutionné la santé publique : on dispose désormais de cartes mondiales de la pollution particulaire, y compris dans les pays sans station de mesure. Par exemple, l’OMS et des chercheurs universitaires utilisent la PM₂,₅ satellite pour estimer que 99 % de la population mondiale respire un air inférieur aux normes OMS, soulignant l’ampleur du défi. Des capteurs spécialisés visent plus loin : le lidar CALIPSO de la NASA fournit des profils verticaux d’aérosols (pour distinguer pollution de surface et poussières de haute altitude), et les imageurs multiangles (MISR, MAIA à venir) peuvent même déduire la taille et la nature des particules. Les satellites suivent aussi le transport des aérosols : nuages de poussière saharienne jusqu’à l’Amérique ou fumée sibérienne vers l’Arctique. Ceci aide les pays à alerter sur l’arrivée de brumes ou à estimer la part de smog local ou importé. Les stations terrestres mesurent plus directement les particules, mais l’observation satellitaire est irremplaçable pour combler les vides et dresser un panorama global du haze.
- Autres gaz traces : Outre les gaz précédents, les satellites surveillent bien d’autres constituants atmosphériques. Le formaldéhyde (HCHO), par exemple, est mesuré comme produit intermédiaire d’émissions de COV ; un HCHO élevé trahi d’intenses émissions d’isoprène (forêts) ou de COV anthropiques (très utile pour localiser les précurseurs de l’ozone) cen.acs.org. L’ammoniac (NH₃) issu de l’agriculture (engrais, élevage) est une cible émergente : les satellites IR thermiques (IASI, CrIS) cartographient les points chauds mondiaux de NH₃, contributeurs à la formation particulaire. Le dioxyde de carbone (CO₂), principal gaz à effet de serre, est suivi par GOSAT, OCO-2, etc., pour le bilan du carbone ; ces missions sont plus « climat » mais convergent avec la qualité de l’air pour les dômes urbains ou la cogénération de polluants. La vapeur d’eau et les propriétés des nuages sont aussi analysées, car elles influencent la persistance des polluants et la précision des mesures satellites. Même des espèces exotiques comme les chlorofluorocarbures (CFCs) ou le monoxyde de brome (BrO) sont détectées de l’espace, aidant à la surveillance de substances destructrices de l’ozone earthdata.nasa.gov. En résumé, les satellites atmosphériques actuels dressent un véritable atlas chimique de la basse atmosphère – surveillant de multiples polluants et gaz à effet de serre, et permettant de comprendre leurs interactions.
Applications des données satellitaires : sciences du climat, santé et politiques
Au-delà des cartes en couleurs, les observations satellitaires de la qualité de l’air ont des usages pratiques majeurs. Elles sont devenues essentielles pour la recherche climatique, l’analyse de santé publique et la décision politique en environnement :- Science du climat : Beaucoup des gaz et aérosols mesurés par les satellites sont aussi des agents climatiques. Les données de missions comme GOSAT et OCO-2 nourrissent notre compréhension du cycle global du carbone, montrant où le CO₂ est émis et absorbé. Ceci est crucial pour suivre les progrès vers les objectifs climatiques. Les satellites détectent aussi les émissions brusques de méthane (par exemple l’identification de fuites majeures ou d’émissions naturelles), permettant une atténuation rapide de ce puissant gaz à effet de serre. En outre, les mesures d’aérosols par satellite aident à quantifier l’effet refroidissant des particules (les sulfates, par exemple, qui réfléchissent la lumière du soleil) et à améliorer les projections des modèles climatiques. Lors d’éruptions volcaniques majeures, les satellites surveillent l’injection d’aérosols dans la stratosphère, ce qui peut temporairement refroidir la planète – un phénomène d’un grand intérêt pour les climatologues. Un autre domaine est la surveillance des changements dans l’ozone stratosphérique : les satellites ont été les premiers à découvrir le trou d’ozone antarctique dans les années 1980 et ils continuent de vérifier sa lente récupération, une des premières réussites politiques en matière de climat. En bref, les satellites offrent un œil sur l’atmosphère globale indispensable pour comprendre les causes du changement climatique et vérifier les accords internationaux (comme savoir si les émissions de CO₂ ou de méthane diminuent réellement). Dans un futur proche, de nouvelles missions (comme la CO2M européenne) viseront précisément à mesurer les émissions anthropiques de CO₂, ville par ville sentiwiki.copernicus.eu amt.copernicus.org, pouvant révolutionner la façon dont les nations suivent et rapportent leurs émissions de gaz à effet de serre.
- Santé publique et études d’exposition : L’un des usages les plus marquants des données satellites est l’évaluation de l’exposition humaine à la pollution de l’air et des risques sanitaires associés. Les épidémiologistes s’appuient de plus en plus sur des bases de données satellitaires (particulièrement pour les PM₂.₅ et le NO₂) afin d’étudier les effets sanitaires à long terme comme l’incidence de l’asthme, le cancer du poumon, les maladies cardiaques et la mortalité prématurée. Dans de larges régions d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine où il y a peu de capteurs, les satellites fournissent la seule donnée cohérente pour estimer l’exposition des populations. Par exemple, le projet Global Burden of Disease utilise des estimations de PM₂.₅ issues de l’AOD satellitaire pour déterminer combien de décès dans un pays sont attribuables à la pollution de l’air. Les satellites ont aussi servi à lancer des alertes sanitaires : par exemple lors de la crise de brume en Asie du Sud-Est en 2015, les cartes de fumée en temps réel issues du capteur MODIS de la NASA ont orienté les réponses de santé publique dans les pays sous le vent. Avec les nouveaux capteurs à haute résolution, les chercheurs en santé peuvent même observer à l’intérieur des agglomérations – identifiant des différences de pollution d’un quartier à l’autre, qui peuvent être corrélées avec les admissions hospitalières ou des foyers d’asthme infantile lung.org lung.org. Un rapport de l’American Lung Association en 2025 a souligné comment les données satellitaires sur le NO₂ révèlent des disparités à l’échelle du quartier que les capteurs au sol ne détectent pas, renforçant la nécessité de normes plus strictes et d’un meilleur suivi dans les communautés mal desservies lung.org lung.org. En résumé, les données satellites sont devenues essentielles pour la santé environnementale, permettant scientifiques et agences de quantifier le coût de l’air pollué pour la santé publique et de cibler les zones où les interventions sont les plus nécessaires.
- Politique environnementale et régulation : Les satellites apportent une donnée objective et transparente, précieuse pour l’élaboration et l’application des politiques. Ils fournissent la vue d’ensemble nécessaire à une politique éclairée : par exemple, les tendances satellitaires ont montré clairement la chute des niveaux de NO₂ et SO₂ aux États-Unis et en Europe depuis les amendements du Clean Air Act de 1990 et les directives de l’UE sur la qualité de l’air, confirmant que la réglementation des centrales et des véhicules avait un effet mesurable earthdata.nasa.gov. Ces réussites, visibles depuis l’espace, renforcent le soutien du public à des contrôles stricts de la pollution. À l’inverse, les données satellites ont parfois révélé des lacunes réglementaires ou des fraudes : par exemple, en détectant des augmentations de pollution là où elles n’étaient pas attendues, poussant à l’enquête. Un cas notable fut la découverte d’une hausse mystérieuse du CFC-11 (un gaz destructeur d’ozone) – même si ce fut d’abord détecté par des réseaux terrestres, cela a entraîné une surveillance accrue dont la cartographie satellitaire des émissions a aidé à identifier les régions suspectes. Plus simplement, les agences réglementaires commencent à compléter leur surveillance avec des produits satellitaires. Le programme Copernicus de l’UE, par exemple, intègre les données Sentinel-5P au Copernicus Atmosphere Monitoring Service pour améliorer ses prévisions de qualité de l’air et ses outils d’attribution des sources, qui guident les décisions politiques atmosphere.copernicus.eu. Les autorités municipales ont utilisé les cartes satellitaires de pollution pour concevoir des zones à faibles émissions et des restrictions de trafic, en visualisant depuis l’espace là où la pollution est la pire. À l’échelle internationale, les observations satellitaires ont soutenu les négociations sur la pollution transfrontalière – les pays ne peuvent plus cacher la fumée qui traverse les frontières, puisqu’elle est visible en image satellitaire. Lors d’événements comme les confinements Covid-19, les satellites ont fourni des preuves spectaculaires de l’amélioration de la qualité de l’air (chute massive du NO₂ et des PM début 2020) tempo.si.edu tempo.si.edu, analysées par les décideurs pour comprendre la part du trafic et de l’industrie dans la pollution. Et à l’avenir, à mesure que l’ONU et les gouvernements fixent des objectifs climatiques et de réduction de la pollution, les données libres et ouvertes des satellites seront essentielles pour vérifier si ces objectifs sont atteints (un concept souvent appelé “surveillance de conformité par satellite”). En somme, la vision depuis l’orbite – couvrant toutes les frontières – encourage une gestion de l’air plus coopérative et fondée sur la donnée.
En résumé, les satellites sont passés du statut d’outils scientifiques à celui d’atouts opérationnels au service de la société. Ils soutiennent l’action climatique en suivant les gaz à effet de serre, orientent les interventions de santé publique par la cartographie de l’exposition à la pollution, et renforcent la gouvernance environnementale en fournissant des preuves tangibles des problèmes comme des progrès. Comme le résume un rapport de la NASA, « les images satellitaires peuvent nous aider à voir quelles actions fonctionnent et où concentrer nos prochains efforts » earthdata.nasa.gov. Il en résulte des décisions mieux informées pour améliorer la qualité de l’air et la santé publique dans le monde entier.
Avantages et limites des observations satellitaires
Avantages : Les observations satellitaires présentent plusieurs avantages clairs pour la surveillance de la qualité de l’air. D’abord, la couverture mondiale et la perspective à grande échelle : un seul satellite peut observer la pollution sur des pays et des continents entiers, bien au-delà de la portée des réseaux terrestres denses cen.acs.org. Cette vue large est essentielle pour comprendre certains phénomènes comme le transport à longue distance (par exemple tempêtes de poussière, panaches de fumée d’incendies) qu’aucun capteur d’un seul pays ne pourrait pleinement saisir. Ensuite, les satellites fournissent des données cohérentes et standardisées – le même instrument mesure partout, ce qui garantit la comparabilité entre régions. Cette uniformité favorise les évaluations globales (par exemple pour classer les régions les plus polluées du monde) sans se soucier de la diversité des méthodes de mesure locales. Troisièmement, nombre de produits satellitaires sont gratuits et accessibles au public, abaissant les barrières d’accès à l’information pour les pays en développement et les chercheurs. Toute personne ayant une connexion Internet peut, par exemple, télécharger les cartes du NO₂ Sentinel-5P ou les cartes d’aérosols MODIS dlr.de. Quatrièmement, comme évoqué plus haut, la haute fréquence de revisite de certains satellites permet un suivi quasi temps réel des épisodes de pollution. Ceci est extrêmement utile pour des applications telles que la prévision de la qualité de l’air ou l’émission d’alertes (comme les satellites météorologiques ont révolutionné le suivi des tempêtes). Par exemple, les données géostationnaires de GEMS et TEMPO permettent aux prévisionnistes d’observer heure par heure l’accumulation de pollution et de prédire les épisodes de smog ou les impacts des fumées plus tard dans la journée epa.gov epa.gov. Cinquièmement, les satellites peuvent identifier des sources inconnues ou des lacunes – ils agissent comme un “renifleur” dans le ciel, capable de repérer des panaches inhabituels même dans les régions isolées. Cet atout a permis la découverte d’installations non déclarées (via les signaux SO₂) ou de super-émetteurs de méthane (via les panaches de CH₄) qui échappaient jusque-là à la surveillance des autorités.
De plus, les données satellitaires aident à placer les mesures locales dans leur contexte. Elles créent des cartes de pollution permettant aux citoyens et aux responsables de visualiser jusqu’où un panache de pollution se propage, ou encore si un épisode d’air pollué est dû à des émissions locales ou à un brouillard de fumée importé cen.acs.org. Ce contexte est inestimable pour concevoir des mesures d’atténuation efficaces (action locale versus coopération régionale). Et dans les régions dépourvues de capteurs au sol, les satellites fournissent souvent la seule information sur la qualité de l’air – donnant ainsi aux communautés la possibilité de prendre conscience d’une pollution qui, autrement, resterait « invisible ». Cette démocratisation des données a stimulé de nombreux efforts de science citoyenne et de plaidoyer : par exemple, munis de preuves satellitaires d’une pollution généralisée, des groupes environnementaux ont exigé l’installation de nouvelles stations de surveillance ou l’adoption de politiques de qualité de l’air plus strictes dans divers pays.
Limites : Malgré leur puissance, les satellites ne sont pas une solution miracle et présentent d’importantes limites. Un défi majeur concerne la résolution spatiale. Bien que les nouveaux instruments aient largement amélioré la résolution, on parle au mieux de pixels d’environ 1–10 km (les pixels de TEMPO font environ 4×2 km au-dessus des États-Unis earthdata.nasa.gov). C’est beaucoup plus grossier que l’échelle des rues où la qualité de l’air varie, en particulier dans les zones urbaines denses clarity.io. La pollution peut varier d’un pâté de maisons à l’autre (près d’une autoroute contre un parc), et les satellites ne peuvent généralement pas distinguer ces fines gradations (bien que les technologies futures et les modes zoom des satellites géostationnaires commencent à réduire cet écart earthdata.nasa.gov). Les capteurs au sol et les sondes mobiles demeurent essentiels pour une évaluation de la qualité de l’air à l’échelle du quartier ou du micro-environnement. Une autre limite est que les satellites mesurent typiquement la colonne totale d’un polluant (la quantité intégrée du sol jusqu’à la haute atmosphère). Pour la santé et la réglementation, on s’intéresse surtout à la concentration en surface (celle que les gens respirent). Convertir une mesure de colonne en concentration de surface implique des modèles et des hypothèses sur la distribution verticale de la pollution, ce qui ajoute une incertitude. Par exemple, si la pollution est en altitude (fumée haute dans la troposphère, par exemple), un satellite peut détecter une haute colonne, mais l’air au niveau du sol pourrait être moins pollué. Cela signifie que les données satellitaires doivent souvent être combinées à des modèles ou à des mesures au sol pour obtenir des estimations de surface précises aqast.wisc.edu haqast.org.
Les nuages et la météo posent un autre défi majeur. La plupart des satellites de pollution fonctionnent dans l’UV et le visible, ce qui veut dire qu’ils ne voient pas à travers les nuages – une journée couverte génère donc des « trous » dans les données earthdata.nasa.gov earthdata.nasa.gov. Même le brouillard, la neige au sol ou des surfaces très réfléchissantes peuvent compliquer les mesures. Des techniques comme le filtrage des nuages ou l’utilisation de canaux infrarouges (qui peuvent détecter certains gaz à travers des nuages fins) permettent d’atténuer ce problème, mais il arrive inévitablement que les satellites n’aient strictement aucune donnée dans certaines zones à cause de la couverture nuageuse clarity.io. C’est une limite particulièrement marquée sous les tropiques ou pendant les saisons des pluies. De plus, les satellites mesurent de jour (quand la lumière solaire permet la mesure réflexive), donc pas de données nocturnes pour beaucoup de polluants (à quelques exceptions près, comme certains instruments IR qui détectent certains gaz la nuit). Ainsi, les cycles diurnes de nuit (par exemple, la chimie nocturne ou l’accumulation de certains polluants pendant la nuit) sont manqués.
Le traitement et l’interprétation des données présentent d’autres défis. Les algorithmes de restitution qui convertissent les spectres bruts en concentrations de polluants sont complexes et sujets à biais : interférences entre gaz, problème de réflectance du sol, etc. Une validation continue s’impose ; par exemple, après leur lancement, GEMS et TEMPO ont fait l’objet de vastes campagnes de calibration et de validation pour garantir la fiabilité des données cen.acs.org cen.acs.org. Les utilisateurs des données satellitaires font aussi face au problème du volume de données : certaines missions comme Sentinel-5P produisent plusieurs téraoctets de données par jour dlr.de, de quoi décourager quiconque n’a pas d’outils spécialisés ou une grosse puissance de calcul. Des efforts sont en cours pour proposer des services conviviaux (plateformes cloud, produits pré-agrégés) pour gérer cet aspect « big data ».
Enfin, les compromis coût/couverture font que l’hémisphère sud et les régions pauvres restent encore moins bien surveillés par satellite. La constellation géostationnaire actuelle couvre l’Amérique du Nord, l’Europe/l’Afrique du Nord et l’Asie, mais néglige l’Amérique du Sud, l’Afrique australe et d’immenses étendues océaniques. Certains satellites à orbite polaire scrutent quotidiennement ces zones, mais sans la même fréquence ni, parfois, la même priorité de réglage des mesures. Comme le souligne Kim, le tableau restera incomplet tant qu’on ne disposera pas d’une couverture à haute résolution similaire pour les grandes zones habitées de l’hémisphère sud cen.acs.org. Il s’agit davantage d’un retard de déploiement que d’une limite technique, mais cela rappelle que l’effort satellitaire s’est jusqu’ici focalisé sur les régions industrialisées de l’hémisphère nord (où les problèmes sont certes graves, mais pas exclusifs).
En résumé, les satellites complètent – mais ne remplacent pas – les mesures au sol et les modèles numériques. Le système idéal utilise tous les éléments : satellites pour la vue d’ensemble et la détection des grands motifs, capteurs au sol pour le détail local et l’étalonnage, modèles pour fusionner l’information et combler les vides (par exemple en mariant données satellites et météo pour prévoir les niveaux en surface) clarity.io clarity.io. Comme le dit un rapport, « les données satellites conviennent bien pour évaluer les modèles et affiner les estimations dans les zones non surveillées » aqast.wisc.edu – combinées aux données de surface, elles offrent un tableau de la qualité de l’air plus complet qu’aucun ne pourrait le faire seul. Reconnaître les limitations permet d’avoir des attentes réalistes : un gestionnaire municipal ne doit pas attendre d’un satellite qu’il distingue la pollution de la rue principale vers la 2ème rue, mais doit pouvoir s’attendre à connaître la position de sa ville par rapport aux autres ou voir comment la pollution évolue dans la journée. Les progrès en cours réduisent sans cesse nombre de limites actuelles, comme la résolution ou la latence des données.
Prochaines missions et avancées en surveillance satellite de la qualité de l’air
Les prochaines années s’annoncent riches en innovations, à mesure que les technologies satellites évoluent pour combler les lacunes restantes et fournir des informations encore plus détaillées sur la chimie atmosphérique. Une étape majeure : l’achèvement de la constellation géostationnaire de l’hémisphère nord. Avec TEMPO et GEMS déjà en orbite, le lancement de Sentinel-4 en 2025 achèvera la couverture sur l’Europe et l’Afrique du Nord cen.acs.org tempo.si.edu. Ces trois satellites formeront ensemble (souvent désignés sous le nom de constellation « Geo-AQ ») un ensemble couvrant en quasi continu sous la lumière du jour la qualité de l’air sur la grande ceinture la plus peuplée du globe. Une coopération scientifique est déjà en cours : par exemple, l’équipe scientifique de TEMPO prévoit d’assister à la validation de Sentinel-4 en appliquant leurs algorithmes sur les données européennes cen.acs.org. Ainsi, vers le milieu des années 2020, les scientifiques pourront pour la première fois suivre des panaches de pollution sur plusieurs continents quasi en temps réel, car la Terre tourne sous la vue de TEMPO, puis Sentinel-4 puis GEMS, avant de recommencer le lendemain. Cela revient à créer un suivi « suivez le soleil » de la pollution pour toute la moitié nord peuplée du globe.
L’attention se porte désormais sur le reste du monde. Des discussions actives et une planification préliminaire sont en cours pour étendre des capacités similaires à l’hémisphère sud – par exemple, installer un instrument géostationnaire pour couvrir l’Amérique du Sud, l’Afrique australe ou l’archipel malais. Kim note que des efforts sont en cours pour placer un instrument au-dessus du Moyen-Orient et de l’Afrique, ce qui couvrirait un autre gigantesque foyer de pollution actuellement non observé à haute résolution temporelle cen.acs.org. Une telle mission constituerait la « pièce manquante » pour permettre un suivi horaire des régions affectées par les tempêtes de sable, les brûlis agricoles et la forte croissance de la pollution urbaine cen.acs.org. De même, il existe un intérêt pour un éventuel capteur géostationnaire sud-américain (peut-être embarqué sur un satellite brésilien ou international) pour surveiller la combustion de biomasse en Amazonie et la pollution urbaine andine. Bien que ces projets soient à leurs débuts, la tendance est à la création d’une véritable constellation mondiale au cours de la ou des deux prochaines décennies, où aucune région ne serait invisible depuis l’espace à une échelle horaire.
En parallèle, le programme Copernicus de l’Europe étoffe sa flotte de capteurs atmosphériques en orbite polaire. La mission Sentinel-5 (à ne pas confondre avec 5P) est prévue pour un lancement vers 2025 sur la série de satellites MetOp-SG database.eohandbook.com. Sentinel-5 emportera un spectromètre de pointe similaire à TROPOMI, garantissant la poursuite d’un suivi journalier haute résolution des polluants jusque dans les années 2030. Ces satellites polaires de nouvelle génération bénéficieront d’améliorations comme une fauchée plus large et peut-être des pixels encore plus fins, plus de nouveaux algorithmes de restitution (par exemple, une meilleure séparation de l’ozone troposphérique). De plus, la mission Copernicus CO2M (deux ou trois satellites) est prévue pour 2025 afin de suivre spécifiquement les émissions de carbone d’origine anthropique sentiwiki.copernicus.eu amt.copernicus.org. CO2M mesurera le CO₂ et le CH₄ avec une grande précision et résolution spatiale, visant à quantifier les émissions de grandes villes ou centrales électriques individuelles. Fait remarquable, il embarquera aussi un capteur NO₂ pour aider à attribuer les hausses de CO₂ observées à des sources de combustion spécifiques (car les signaux de NO₂ révèlent souvent l’origine des brûlages fossiles) eumetsat.int cpaess.ucar.edu. Cette synergie pourrait inaugurer une nouvelle ère où les données atmosphériques servent à demander des comptes aux pays sur leurs engagements de réduction carbone dans les accords climatiques.
Sur le front technologique, la miniaturisation et la commercialisation ouvrent de nouvelles perspectives. Des entreprises et groupes de recherche lancent des petits satellites et constellations pour un suivi ciblé. Par exemple, GHGSat (une société privée) opère déjà quelques minisatellites équipés de spectromètres infrarouges capables de détecter les fuites de méthane de sites individuels avec une résolution spatiale exceptionnellement élevée (de l’ordre de dizaines de mètres). Un autre projet à venir est MethaneSAT (piloté par l’Environmental Defense Fund), qui vise à cartographier les super-émetteurs de méthane dans le monde entier avec une grande précision pour soutenir les efforts de réduction du méthane à l’échelle mondiale. Bien que ces satellites ne soient pas des cartographes larges de la chimie atmosphérique comme TROPOMI, ils représentent une nouvelle catégorie de microsatellites réactifs à haute résolution qui complètent les grandes missions en ciblant les points chauds d’intérêt. À l’avenir, on pourrait voir des constellations de petits satellites cartographier la qualité de l’air urbain à l’échelle des quartiers, ou suivre des secteurs spécifiques (par exemple une flotte dédiée aux émissions des navires, ou aux incendies de forêts, etc.). Le coût d’envoi d’instruments en orbite baisse, favorisant des missions spécialisées et expérimentales en qualité de l’air.
De nouvelles techniques instrumentales sont aussi à l’horizon. Par exemple, la NASA développe des polarimètres multiangles (mission MAIA) pour un vol en 2024 – MAIA observera les aérosols sous plusieurs angles et angles de polarisation afin de déduire leur composition (par exemple distinguer suie, poussière ou sulfates) dans plusieurs villes cibles, directement motivée par des études de santé reliant le type de particules à des effets sanitaires. Le lidar devrait aussi faire son retour à l’avenir pour fournir une perspective 3D ; la mission européenne EarthCARE (en coopération avec la JAXA, lancement prévu autour de 2024) emportera un lidar et un radar principalement pour les nuages, mais aussi précieux pour les profils d’aérosols. On peut imaginer des plateformes géostationnaires futures ajoutant un lidar orienté vers le bas pour le suivi continu des couches d’aérosols ou même les profils verticaux des polluants près de leur source. Bien que difficile, la surveillance nocturne pourrait progresser grâce à des techniques telles que la spectroscopie par la lumière de la Lune (concept testé par la NASA nasa.gov). Et avec la sensibilité accrue des détecteurs, les satellites pourraient bientôt mesurer des composés à très courte durée de vie (peut-être un jour cartographier le NO ou certains COV, si la sensibilité instrumentale le permet).
Les progrès de la gestion et de l’assimilation des données permettront de mieux exploiter ces observations. Les flux de données en temps réel issus des satellites alimenteront des modèles de prévision de la qualité de l’air de plus en plus sophistiqués utilisés par les agences (à l’image de la façon dont les modèles météo intègrent constamment des données satellitaires). Cela permettra des prédictions de la qualité de l’air à l’échelle du lendemain, voire de l’heure suivante, beaucoup plus précises et localisées. Les données en accès libre stimulent également de nombreuses applications d’apprentissage automatique, où les algorithmes d’IA extraient des schémas riches dans les archives satellitaires – par exemple, pour prévoir où émergeront les prochains points chauds de pollution à partir des tendances de développement, ou pour détecter automatiquement des événements d’émissions anormales.
La collaboration internationale reste déterminante pour l’avenir. L’infrastructure satellitaire existante est un patchwork financé par différents pays – la coordination à travers des groupes comme l’Organisation météorologique mondiale et le CEOS (Comité sur les satellites d’observation de la Terre) aidera à standardiser les formats de données, partager les techniques d’étalonnage et éviter les redondances. La vision est celle d’un système d’observation mondiale intégré de la qualité de l’air, où les données de tous les satellites (ainsi que des réseaux au sol) seraient combinées de façon transparente pour fournir à chaque pays des informations exploitables. Comme l’a écrit l’équipe Smithsonian/Harvard TEMPO, après le lancement de Sentinel-4 la constellation permettra à « tout le monde de respirer un peu plus facilement » grâce à des données inédites sur les causes, déplacements et impacts de la pollution atmosphérique tempo.si.edu tempo.si.edu.
En conclusion, la révolution de la surveillance atmosphérique par satellite est en plein essor. Nous sommes passés de clichés épars de quelques polluants à des balayages détaillés et fréquents sur toute une gamme de composés. Les satellites ne sont plus de simples expériences scientifiques ; ce sont des outils opérationnels majeurs pour la gestion environnementale. Chaque nouvelle mission améliore notre capacité à diagnostiquer les maux de l’atmosphère et à suivre nos progrès pour les atténuer. De la lutte contre le changement climatique au sauvetage de vies via un air plus sain, les « yeux dans le ciel » sont devenus indispensables à la quête de l’humanité pour un mode de vie durable sur Terre. L’innovation continue et la coopération internationale dans ce domaine offrent la perspective d’un avenir où l’on pourra surveiller – et, espérons-le, garantir – la qualité de l’air pour tous, d’un pôle à l’autre, en permanence.
Sources : Les informations de ce rapport s’appuient sur une gamme de sources récentes, incluant des articles scientifiques, des rapports de mission des agences spatiales, et des articles d’actualité. Les références principales incluent Chemical & Engineering News (2025) sur la nouvelle ère des satellites de qualité de l’air cen.acs.org cen.acs.org cen.acs.org, la documentation NASA et ESA sur les missions Aura/OMI earthdata.nasa.gov et Sentinel-5P/TROPOMI dlr.de dlr.de, le rapport 2025 de l’American Lung Association sur les données satellites NO₂ et l’équité en santé lung.org lung.org, et les ressources NASA Earth Observatory/Earthdata sur TEMPO et les tendances en qualité de l’air earthdata.nasa.gov earthdata.nasa.gov, entre autres. Celles-ci et d’autres références sont intégrées dans le texte pour aller plus loin et pour vérification.